«
Ils sont frais mes poissons, ils sont frais ! »
Les rues de Port-Royal, en ce bel après-midi ensoleillé, résonnaient de mille et unes voix. Toute la cité était animée de cris, de rires en tous genres. Quelle idée de rester chez soi par un temps aussi radieux ?
Je n’étais pas quelqu’un de très sociable, je n’aimais pas spécialement me mêler à cette populace grouillante, sale et odorante. Mais, des fois, m’immerger dans la foule me procurait un certain plaisir. Allez comprendre… J’avais congédié mes hommes de main, estimant que je n’avais rien à craindre d’une petite escapade dans le bourg de Port-Royal. Je vous l’accorde, une femme seule dans un endroit aussi mal fréquenté pouvait s’avérer (et s’avérait toujours) très dangereux. Cependant, je n’étais pas une simple femme, je n’étais pas n’importe quelle femme. Du haut de mes jeunes vingt-trois années, j’avais acquis une incontestable notoriété dans les Caraïbes grâce, entre autres, à mes talents de médecin-chirurgien. Ma profession était rare et recherchée, autant qu’elle était cruciale pour la survie de bon nombre d’individus. Tout le monde ici me connaissait sous le nom de Pandore,
celle qui avait tous les dons, celle qui faisait sortir de chacun de ses patients tous les maux qu’ils avaient en eux, aussi facilement que s’ils étaient une vulgaire boîte. Pas mal, hein ?
J’étais à présent arrivée sur les quais. D’innombrables navires y étaient alignés. Un trafic incessant régnait sur le port, du levé du soleil jusqu’au crépuscule. Reconnaissant un bateau de marchandises, je décidai d’y embarquer pour récupérer quelques stocks de plantes médicinales qui allaient bientôt me manquer. Lorsque le capitaine me vit sur le pont, il vint à ma rencontrer. Après de courtoises salutations, il me demanda ce qu’il pouvait faire pour moi. Je lui énumérai donc la liste des ingrédients qu’il me fallait, et il ordonna à un de ces marins de me préparer ma commande. En attendant, je m’approchai de la balustrade, noyant mon regard dans l’immensité des flots. Le monde océanique m’avait toujours attirée, mon esprit était étrangement lié à la mer. Après tout, n’étais-je pas une enfant de l’océan, trouvée au beau milieu de l’Atlantique ? J’avais plus d’une fois songé à m’engager dans la piraterie, mais j’avais préféré assurer mes arrières en établissant une petite fortune sur la terre ferme. L’heure où je partirai voguer sur l’onde viendra bien assez tôt.
Une fois mes petites emplettes terminées, je quittai le navire, mon précieux paquet sous le bras. J’avais aménagé un jardin dans mon domaine, sur les hauteurs de Port-Royal, afin de ne pas être dépendante de tel ou tel marchand, toutefois, le climat des Caraïbes ne convenait pas à toutes les plantes.
J’étais en train de faire l’inventaire de mes ressources médicales lorsqu’un homme vint se cogner à mon épaule.
Quel est le sombre abruti qui ne sait même plus marcher droit ? Fulminai-je intérieurement. L’air exaspéré, je me retournai vers l’inconnu. Qui n’en était pas un, puisqu’il me lança :
«
Bonjour et milles excuses Mademoiselle Van Der Decken. »
Très peu de personnes m’appelaient par mon vrai nom. Et le visage du jeune homme qui se tenait face à moi m’était familier… Je fronçai les sourcils, tentant de mettre une identité sur ce personnage. Et soudain, tout me revint. Comme projetée cinq ans en arrière, je revoyais parfaitement sur un galion avec cet homme, à mes côtés lors de mon voyage jusqu’aux Caraïbes.
«
… Olton, c’est vous ? » m’étonnai-je.
En effet, le corsaire que j’avais connu il y avait de cela une demi-décennie avait bien changé. Le jeune homme farceur, curieux et qui m’avait tant fait rire lors de la traversée de l’Atlantique semblait avoir vécu des moments plus ou moins agréables. Remarquez, je devais avoir également changé depuis le temps. Tout à coup, je remarquai l’habit qu’il portait. Ce n’était plus l’uniforme corsaire, mais des vêtements représentant quelque chose de plus… illégal. James aurait-il viré de bord et rejoint la piraterie ? Tout bien réfléchi, cela ne m’étonnait guère : il avait toujours eu ce côté imprévisible et rebelle.
Emi Burton