Histoire ici, soyez précis et dans un minium de 300 mots.
~ Naissance...La pluie s’abattait dru sur le bâtiment. Les vagues, houleuses, se brisaient contre la coque, tandis qu’un vent froid secouait les voiles, luttant avec peine contre ce temps. Les cris des marins étaient à peine audibles à travers les déflagrations tonitruantes de l’orage. Chacun courait en tout sens, occupant son propre poste, bravant les éléments, défiant la force divine qui frappait le navire. L’eau ruisselait à travers les planches de bois, noyant tout l’espace disponible du pont, alors que le capitaine hurlait des ordres tout en bataillant afin de maintenir le cap. Tous se demandaient s’ils allaient survivre à cette tempête, une fois de plus.
Des hurlements d’une tout autre nature s’élevaient sous le pont. Une pirate était allongée dans un hamac suspendu, se déchirant les cordes vocales sous la douleur des contractions. Enceinte jusqu’au cou, aussi grosse qu’un cachalot, cette donzelle savait au plus profond d’elle-même qu’elle ne survivrait pas à cette nuit. Au moins, elle mourrait durant une tempête, comme un bon pirate - à défaut de pouvoir mourir en pillant, saccageant, tuant -, et non comme une de ces gonzesses dont tout le monde profitait allègrement. La belle blonde avait quant à elle bossé dur pour être là où elle en était maintenant, et même si elle mourait seule en mettant au monde son gosse, elle avait vécu une belle vie remplie avec ses compagnons d’équipage. Même si la seule chose qu'elle regrettait était ce qui l'amenait ici : s'être fait engrosser. Surtout par ce truand !
Les contractions se rapprochaient de plus en plus, un filet de sueur se plaqua sur sa peau sèche, et la pirate eut la désagréable sensation qu’on lui transperçait le ventre d’un poignard bien aiguisé. Avec un grondement qui aurait très bien pu passer pour animal, elle se mit à pousser, ne sachant pas quoi faire d’autre. Personne ne pouvait l’aider, et elle se passait bien du « soutien » dont ses mécréants auraient eu l’idée de lui procurer. Cela faisait déjà plusieurs heures qu’elle était là, au fin fond du trou dans lequel elle avait établi son petit coin, secouée dans tous les sens par cette tempête, supportant avec peine cette grossesse non désirée. Mais au bout d’un certain temps, de gémissements, de grondements, de cris et de désespoir, elle entendit un cri qui n’appartenait à personne de son entourage - ce n’était pas très compliqué puisqu’elle était quasi seule. Tendant les bras, elle attrapa le petit corps bouffi. Il était aussi sale qu’un pirate, et ne ressemblait en rien à un être humain normal. Avec une grimace, elle coupa le cordon et le prit dans ses bras.
Mais contrairement à ce qu’elle avait pensé, les contractions ne s’arrêtèrent pas outre mesure. Recommençant la même opération, étouffant presque son garçon sous la douleur, elle sut que quelque chose clochait. Elle avait bien compris qu’elle n’avait finalement pas qu’un rejeton, mais le deuxième gosse semblait avoir plus de mal à sortir. Tendant une main afin de l’attraper et le faire sortir plus vite, elle ne sentit qu’un minuscule pied, bientôt rejoint par un deuxième, tout aussi petit. Alors elle tira. Quelque chose se rompit en elle ; elle n’avait plus beaucoup à vivre. Hurlant une dernière fois, elle tira, encore et encore, jusqu’à ce que le garnement soit enfin à l’air libre. L’attirant lui aussi contre sa poitrine nue, la pirate leur jeta un dernier coup d’œil empreint de joie, de dégoût et d’ennui mêlés, avant de se laisser mourir, son dernier souffle emporté par la cacophonie de la tempête.
~ Enfance...La chaleur étouffante du soleil d’été ralentissait grandement l’équipage, assoiffé et déshydraté. Un vieux pirate, rouillé, se redressa difficilement du tonneau sur lequel il était assis, et s’étira longuement. Quelques articulations craquèrent, lui procurant une certaine douleur qui se diffusa rapidement. Tapotant ses poches d’un air vaseux, il chercha sa bouteille de rhum déjà bien entamée avant de se rendre compte qu’elle gisait au sol, vide. Surpris de constater qu’il avait déjà tout bu - et qu’il n’en gardait aucun souvenir -, il se baissa afin de la ramasser - dans le but de la remplir une fois à terre - quand un jeune moussaillon le bouscula. Son gros ventre l’empêcha de retrouver son équilibre et il tomba lourdement sur sa tête, tandis qu’il rugissait des insultes en tout genre. Après un moment de flottement, le blond l’aida à se relever avant de se faire repousser violemment. Le vieux cul rouge le frappa alors du manche de son épée, lui laissant une jolie estafilade sur la pommette gauche.
- Amiral de bateau-lavoir, gibier de potence, escrevisse de rempart, tu mériterais que je te coupe les membres ! Arr !
Le jeune blond supporta encore une vingtaine d’insultes plus recherchées les unes que les autres avant que le pirate ne se lassât de ce petit jeu et ne quittât le lieu pour en trouver un autre, plus propice aux déboires. Soupirant de soulagement en comprenant qu’il ne risquait rien d’autre, il reprit son travail après avoir lancé un clin d’œil à son jumeau, à quelques pas de là. Subtilement, ils se rapprochèrent l’un de l’autre, et l’aîné de deux minutes quelque chose se pencha vers son frère en grondant :
- Continue comme ça et tu vas finir par consauter la planche !
- Calme-toi, ‘Vik, tu sais qu’ils m’aiment trop pour ça.
Ludvik lui lança un dernier regard d’avertissement avant de s’éloigner afin d’éviter que les autres ne surprennent leur conversation. Il savait que son frère était trop immature pour comprendre qu’il pouvait se faire tuer n’importe quand. Ça faisait des années qu’ils étaient sur ce navire - quatre, pour être précis -, mais n’importe qui pouvait remplacer un morveux de neuf ans. C’était ce qui s’était passé avec les deux bâtiments précédents ; son frère avait fait le malin, ils avaient dû s’enfuir avant de se faire tuer ou vendre comme esclaves. Ils avaient été assez rusés pour ne jamais se faire choper la main dans le sac, mais la chance pouvait tourner.
Cette nuit-là, le navire jeta l’ancre et amarra. Une grande partie voire l’équipage entier se déversa dans l’Île de la Tortue, chacun se ruant vers les caboulots. Les jumeaux restèrent quant à eux dans l’embarcation, profitant du silence ambiant pour jacter à propos des autres matelots et du capitaine. La fatigue et l’alcool volé aidant, ils se mirent à jouer, à se battre, et après un coup de poing bien placé de la part de Ludvik, son frère recula sous le choc avant de s’effondrer au sol. Bousculant au passage plusieurs tonneaux qui se renversèrent, il renversa également une bougie qu’ils avaient installée pour mieux se voir. Le feu prit presque aussitôt. Sous le choc, les jumeaux ne réagirent tout d’abord pas, figé de voir le feu se mettre à brûler aussi vite. Puis, d’un commun accord, tout en silence, ils ramassèrent leurs affaires et mirent les voiles - au sens figuré, bien sûr, étant donné que les véritables voiles formaient un joli feu de joie. Sautant lestement du pont, ils se mirent à courir.
De loin, ils comprirent qu’ils ne pourraient plus appareiller avant un très, très long moment. Le capitaine du navire qu’ils venaient de quitter arrivait en hurlant, bafouillant des ordres à ceux qui l’accompagnaient. Mais il n’était plus possible d’arrêter le feu. Les jumeaux se mirent à rire, doucement, ainsi cachés en un endroit sûr. Mais Ludvik vit un homme, un pirate, se pencher vers le capitaine, et lui parler à l’oreille. Au bout d’un moment, celui-ci se releva, le visage rougi de rage, avant de beugler d’une voix emplie d’agressivité et de hargne :
- Ludvik ! Hendrik ! Truands ! Voleurs ! Vous méritez la corde ! Attendez un peu que je vous retrouve, espèce de...
Sa voix s’évanouit peu à peu tandis que les jumeaux prenaient leurs jambes à leur cou, prenant sa menace très au sérieux. Ils avaient vécu avec lui pendant quatre ans, ils savaient très bien de quoi il était capable. Prenant toutes les dispositions possibles, ils se cachèrent dans une minuscule embarcation qui, au matin, leva l’ancre pour une destination inconnue pour eux.
~ Adolescence...- Vite, Rik’, on va se faire choper !
- J’arrive ! Encore une minute et j’aurai...
Ludvik jeta encore un coup d’œil autour de lui, l’inquiétude se lisant clairement sur son visage. Voilà près de cinq ans que les jumeaux vivaient dans les rues de Campeche, oscillant entre le port, les mines et la ville en elle-même. Les habitants avaient l’habitude de les voir traîner dans les environs, tout comme ils avaient l’habitude de les chasser dès qu’ils s’approchaient de trop près de leurs bâtisses et bâtiments. Ne survivant que grâce à leurs vols de nourriture et tout ce qui leur permettait de subsister, les jumeaux se rendaient bien compte qu’ils avaient eu de la chance jusqu’ici de ne pas encore se faire attraper, et qu’un jour ou l’autre un des hommes volés les en ferait voir de toutes les couleurs.
Et il semblait que ce jour était arrivé.
C’était la nuit. La rue était plongée dans le noir, seul le minuscule clair de lune offrant une piètre lueur baignant la ruelle. Il n’y avait presque aucun bruit, pourtant Ludvik ne pouvait s’empêcher de penser que ça allait mal tourner. Il faisait le guet, près de la porte d’entrée de la forge, tandis que son frère était à l’intérieur, à la recherche d’un quelconque objet qui pourrait les aider - une épée, un poignard... Au bout d’un moment, quand il se rendit compte que son frère ne lui répondait plus et qu’il ne faisait même plus du tout de bruit, Ludvik se décida à entrer. Repoussant la porte fracturée en silence, il jeta un coup d’œil à l’intérieur... avant de se figer.
Le forgeron tenait son frère par le cou, l’étranglant contre un mur en pierres. Son grognement de rage était masqué par le bruit du feu, à quelques pas de là, malgré son état presque éteint. Hoquetant de surprise et de colère, Ludvik se jeta sur le forgeron et, du haut de son mètre soixante-dix, le fit lâcher son jumeau avant le cogner durement. Ils se battirent un long moment, chacun donnant de violents coups, mais malgré le jeune âge et la force de Ludvik, le forgeron prit le dessus. Le jetant contre son jumeau, qui n’avait pas bougé d’un pouce, il rugit d’une voix sourde :
- Donnez-moi une bonne raison pour ne pas vous promettre à la corde, gredins !
Ludvik se releva immédiatement et se mit en position de défense, prêt à parer toute attaque, tandis que son frère s’apprêtait à charger. Le retenant en l’attrapant par le bras, Ludvik jeta un œil incertain au forgeron. Il était clair qu’ils étaient en mauvaise posture et que, même à deux, ils ne pouvaient rien face à cet homme habitué aux durs labeurs de son métier. S’enfuir était inenvisageable ; ils étaient bien trop reconnaissables dans cette ville qui les connaissait bien à présent. Si quelqu’un lançait un avis de recherche contre eux, ils étaient cuits. Surtout s’il y avait un butin à la clef.
- Monsieur, commença-t-il. Vous savez que nous sommes orphelins et que nous vivons dans la rue. Vous nous voyez tous les jours depuis cinq ans nous battre pour survivre, et nous sommes fatigués. On vient, aujourd’hui - ou plutôt cette nuit, songea-t-il -, pour vous demander de nous héberger. En échange, nous vous aiderons dans les tâches de la forge et nous ferons tout ce que vous nous demanderez.
Un hoquet à côté de lui, de la part de son frère, se fit entendre.
- Mais..., voulut polémiquer Hendrik.
Ludvik le pinça pour lui intimer de se taire. Le forgeron ne sembla pas remarquer la réaction du jumeau, car il paraissait plus vouloir étrangler quelque chose - notamment quelqu’un - plutôt qu’analyser les jeunes devant lui.
- Vous étiez venus me voler ! vociféra-t-il avec hargne.
- Si nous avons un toit, nous ne volerons plus personne, objecta Ludvik. Je vous en prie, nous ferons tout ce que vous voulez, je vous promets qu’on ne vous créera aucun problème.
- Que vaut la parole de voleurs ? Je devrais vous faire fouetter !
Les jumeaux ne répondirent pas. Même s’ils étaient jeunes, et pas très renfloués, quatre mains ne pouvaient pas être de refus pour quelqu’un comme le forgeron, qui devait sûrement avoir besoin de main d’œuvre pour l’aider. Ludvik pouvait voir l’hésitation s’installer sur le visage de l’homme, tandis que l’idée se faisait une place dans son esprit. Il y aurait certes deux bouches de plus à nourrir, mais ils avaient été habitués à ne pas manger énormément, voire pas du tout durant certains jours, alors il n’y aurait pas de problème de ce côté-là.
Le forgeron accepta après leur avoir fait promettre à tous les deux. Il les lava, les nourrit, avant de les punir d’avoir essayé de le voler. Ils habitèrent alors dans la grange, dormant avec le foin et les rats. Ils apprirent le métier de forgeron et firent bientôt partie de la maison et de la famille. Jusqu’à la mort du forgeron et de sa femme.
La femme mourut à la naissance de leur fille, une jolie petite fille brune. Elle naquit de la même manière que Hendrik : les pieds en avant. N’ayant pas les moyens d’appeler une sage-femme, la mère mourut tout comme la mère des jumeaux, mais entourée de sa famille. Lorsque Hendrik et Ludvik eurent dix-huit ans, la petite à peine deux ans, le forgeron mourut à son tour, vaincu par la maladie et la tristesse d’avoir perdu sa femme. La forge revint à ceux qu’il considérait comme ses fils, les jumeaux prirent donc le contrôle de la forge, et devinrent les protecteurs de la petite, qui était comme leur sœur.
~ Et plus encore...Ludvik regarda longuement son frère tandis qu’il étudiait sous toutes les coutures les minuscules morceaux d’argent déposés sur sa paume. Le choix que devait faire Hendrik était crucial ; il pouvait apporter beaucoup à la forge et donc à leur famille. Voilà quasiment quinze ans qu’ils se chargeaient de fournir les armes à qui pouvait bien payer. Mais après toutes ces années, l’argent commençait à avoir du mal à renflouer les caisses, et les jumeaux devaient se réhabituer à se serrer les coudes afin de protéger leur sœur de tout ce qui pouvait lui pendre au nez. Ils refusaient catégoriquement les demandes de mariages de tous ces crétins qui la voulaient uniquement pour tirer un coup ; il était hors de question de laisser quelqu’un profiter de leur petite sœur légalement. Et même si ces culs rouges proposaient en échange, pour la plupart, une immense somme d’argent qui pouvait leur garder la tête au dessus de l’eau pour les vingt prochaines années, c’était impensable de vendre la petite. Le vieux leur avait fait promettre sur son lit de mort, et Ludvik n'avait qu'une parole. Il espérait que c'était aussi le cas pour son jumeau.
Hendrik releva enfin la tête et acquiesça d’un air satisfait. C’était exactement ce qu’ils recherchaient depuis des lustres. Ludvik sentit ses épaules se dénouer tandis que le soulagement s’abattait sur lui. Son frère était d’accord pour s’occuper de l’orfèvrerie. Ainsi, le talent de Ludvik pour la forge mêlé au talent de son jumeau pour l’orfèvre allait les aider financièrement pour un bon bout de temps. Qui allait refuser d’ajouter de magnifiques touches d’argent ou d’or sur ses épées, poignards, toute arme pouvant servir ? Les pirates n’allaient pas non plus cracher sur une arme étincelante ; ils étaient attirer par le brillant, tels des lucioles attirées par la lumière vacillante d’une flamme de bougie.
Ce fut de ce fait que les jumeaux mirent en place l’orfèvrerie, dans la bâtisse à côté de la forge. Ainsi, les affaires reprirent de plus belle, l’argent se mit à pleuvoir, tandis que le travail devenait de plus en plus intense. Jamais leur gagne-pain n’avait eu autant de réussite, pas même au temps du vieux.
Néanmoins, Ludvik restait sur sa faim. Voilà des années qu’il n’avait plus touché à un bateau, depuis cette fameuse nuit où avec son jumeau il avait mis le feu au navire de leur équipage d’adoption. Dix-sept longues années. La mer, la douce odeur du vent marin, les cris du capitaine quand il voyait qu’un mécréant avait eu le culot de bâcler sa tâche, les ivrognes hurlant leurs horribles chansons, l’adrénaline lors des pillages... Tout ça lui manquait. Il avait dû s’habituer à une vie simple et légale, afin de s’occuper de son frère, plus jeune que lui de quelques deux petites minutes. Une colère sourde l’emportait à chaque fois qu’il se souvenait qu’il avait à présent une famille dont il devait s’occuper, qu’il devait nourrir. Chaque jour, il se levait avec l’impression de ne pas être à sa place, d’être un imposteur. Même s’il aimait sa famille, il ne supportait plus cette fausse vie. S’il avait été seul, s’il avait été certain que son jumeau pouvait s’occuper de lui-même sans se mettre dans des situations impossibles, s’il avait été certain que sa sœur de dix-neuf ans pouvait se défendre face à des rustres de toute sorte... Mais ce n’était pas le cas. Et ça le frustrait.
Le seul moyen qu’il avait trouvé jusqu’ici pour faire redescendre la pression était les bagarres dans lesquelles il se jetait pour aider son frère à se sortir des problèmes dans lesquels il s’embourbait. Mais un jour ou l’autre, ça ne serait plus assez. Il aurait alors besoin de plus.