Will - Life is a game

William Butler n'est pas mon vrai nom.

Ma mère, très croyante, avait décidé de me baptiser Nathaniel, tandis que je prenais le nom de mon père Reynolds. Je crois que mes parents m'ont adoré dès que je suis arrivé au monde, alors qu'un autre enfant leur avait été donné des années avant moi, qu'ils n'appréciaient guère.
J'aurais pu grandir en éprouvant les mêmes sentiments à son égard, sans doute, car tout m'y poussait, jusque dans l'éducation différente que nous prodiguait ma mère, et dans la façon dont Cael avait de me traiter parfois. Je sentais qu'il me repoussait et partait du principe de refuser mon affection, puisque je lui avais volé celle de nos géniteurs, sans doute. Mais moi, je l'aimais, aveuglément, en dépit des circonstances et de ses envies.
Et je crois que même le cœur le plus dur peut se fondre devant tant d'adoration... Malgré cela, mon soutien ne compensait pas le déni du reste de la famille, et mon ainé finit par m'abandonner.
De tout ce qui m'arriva ensuite, cette fuite reste ma plus grande déception, ma blessure la plus douloureuse.

Cael est quelque part, et il est mon sang, celui dont j'ai eu besoin à mes côtés, depuis mes premiers pas - il a surement oublié qu'il me tenait la main pour m'aider à garder mon équilibre ce jour-là et que son regard fier m'avait donné le courage qui me manquait. Je sais qu'il garde plutôt en mémoire les fois où il m'a poussé, par colère... Je comprends, et ne lui en ai jamais voulu.
Il ne sait probablement pas que mes larmes ont été souvent la cause de sa libération du cachot sous la grange, où les adultes l'auraient laissé mourir de faim, si je n'avais pas moi-même refusé de me nourrir en son absence.

Ma culpabilité d'être le fils prodige à son égard n'a jamais égalé les souffrances mentales qui lui ont été infligées, indirectement par ma faute, et rien de ce que je puisse avoir fait pour lui ne soignera cela. J'étais jaloux et heureux de le voir trouver du confort dans la compagnie des esclaves, et n'ai jamais dénoncé sa conduite, tandis que son échappatoire me forçait à rester seul, à apprendre mes leçons avec sérieux, à supporter les apprentissages que j'avais visiblement plus de facilité à assimiler. Je me pliais aux ordres et aux aspirations de mon rang, ce qui ne pouvait que satisfaire, et je le faisais de bonne volonté, car rendre mon entourage heureux me comblait.
Une fois Cael partit de son plain gré, je poursuivais donc dans cette voie, sans montrer à quel point cet évènement m'avait affecté. Je prenais la place principale, sans que quiconque me fasse de l'ombre, et cette lumière me brulait désormais.
Je voyais comme lui tous les travers du monde dans lequel nous avions grandi, mais mes réactions n'étaient pas semblables aux siennes : j'acceptais les fautes de mes semblables, je leur pardonnais... En me promettant de ne pas grandir pour devenir le genre d'homme qu'était notre père, alcoolique notoire, menteur, coureur de jupons, grisé par son succès.

Pendant des années, j'écrivais des lettres à Cael, que je glissais dans des bouteilles vides, scellées, que je jetais à la mer. Il m'avait lu une histoire, un jour, sur un trésor dont la localisation avait été révélée de cette façon... Nous en avions tout deux été fasciné pendant des semaines, jouant à dessiner des cartes, et creuser la terre jusqu'à se faire gronder d'avoir nos habits salis par ces aventures... Il prenait la punition, souvent, tant que je me contentais de verser des larmes de frustration, mes mots n'ayant aucune valeur face à cette injustice.
J'envoyais un parchemin par semaine sur les vagues, en contant mon ascension sociale, mes réussites personnelles, mon parcours dans le chemin tracé pour moi par le gouverneur Reynolds.
J'aurais pu avoir la grande vie...
Mais je savais qu'autre chose m'attendait et je n'avais pas peur de saisir ma chance : un adolescent qui me ressemblait et que j'avais choisi comme modèle m'avait montré la voie.
Il était temps que je rejoigne Cael, puisqu'il n'était pas décidé à répondre à mes appels... J'avais heureusement hérité comme lui d'un esprit vif et calculateur... Il me fallut plus d'un an pour retrouver sa trace dans la piraterie. En effet, Cael s'était malgré lui peut-être fait une réputation sous le nom de Vane, l'un des esclaves qui habitait notre demeure et le soutenait à l'époque. A l'évocation de ce nom dans les tavernes, je décidais d'enquêter sur ce fameux et néanmoins mystérieux pilleur. Après tous ces mois à arpenter les routes, je n'avais pas perdu espoir, et chaque piste méritait d'être explorée... Je passais donc encore plusieurs semaines à tenter d'approcher la légende du Neptune.

Je souriais finalement en le reconnaissant - je ne l'aurais surement pas identifié si je ne l'avais pas tant cherché dans les traits de tous les étrangers qui croisaient mon chemin. Mais ses yeux bleus ne pouvaient tromper : nous avions les mêmes, et il avait d'ailleurs froncé légèrement les sourcils en croisant mon regard, lui aussi.
Je décidais alors de me faire engager sur son navire et de l'observer dans l'anonymat, pour m'assurer qu'il n'avait rien perdu des qualités que j'avais admiré chez le frère qui avait partagé mes jeux, avant de lui révéler mon secret.
Je crois que je voudrais qu'il respecte l'homme que je suis devenu, et qu'il choisisse de me faire confiance, sans l'obliger à reconnaître le lien indéniable qui nous unit.

Je crains également sa réaction face à la vérité, qui ne va lui apporter que des ennuis... Je sais que notre père a lancé quelques hommes à ma recherche, et que notre passé risque de nous rattraper par ma faute.